Chronique péruvienne
Courrier Expat

Conduire au Pérou : bienvenue au Fight Club

Vendeur fraises Lima
Photo Lauriane Brulebeaux www.foodmeplease.com

Le trafic à Lima est le sujet tendance n°1 de la conversation “small talk”, d’une part, et l’excuse universelle à tout type de retard, d’autre part. C’est un incontournable et une caractéristique de la ville : on ne peut pas parler de Lima sans parler de son trafic, ce serait comme parler du Pérou sans parler de ses lamas.

A vrai dire, je me sens presque obligée d’écrire un article sur la route au Pérou, car c’est un sujet qui est de toutes les conversations dans les dîners en ville ou business, de toutes les plaintes, de tous les jugements négatifs sur Lima, et dans un consensus général : le danger, les règles de sécurité, de savoir-vivre, la pollution engendrée, etc. Sur les réseaux sociaux les posts sont légions, de personnes en colère allant jusqu’à la limite du désespoir. Et le consensus va dans le sens de la complainte, pas de l’enthousiasme. Je m’en vais défendre le Pérou d’un injuste jugement de son état routier.

Le contexte

Lima est une ville de 10 millions d’habitants, soit environ l’Ile de France. Maintenant, imaginez l’Ile de France avec 1 seule ligne de métro, et 1 seule ligne de bus express avec couloir dédié. Le reste des transports en commun utilise le réseau routier normal, et n’est pas géré ni autorisé par une entité centralisée. Qu’est-ce que cela implique ? Tout simplement la jungle.

Les règles de base

J’ai relevé 3 règles de base, qui devrait être inscrites dans l’examen du permis de conduire tellement elles sont universelles pour le pays, même si parfaitement informelles. Les règles de la route, ça pourrait être les règles du Fight Club, elles sont sauvages et sans pitié.

  1. Règle n°1 “Le piéton ne vaut rien”. J’ai entendu une amie dire cette phrase à un nouvel arrivant à Lima, c’est dur mais bien réel. A concept choc, phrase percutante. On a parfois du mal à y croire, encore plus quand on a une poussette dans les mains, mais je vous assure qu’il ne vaut mieux pas essayer de jouer.
  2. Règle n°2 “La priorité n’est pas à droite mais à l’intimidation ou à l’opportunité”. Encore ce matin, j’ai juste éternué au volant de ma voiture, moins de 5 secondes, et 3 voitures qui n’avaient pas la priorité en ont profité pour s’engouffrer sur ma voie et me passer devant. Je respecte, du point de vue de la jungle c’est un succès ! L’apprentissage de la dure réalité de la vie se fait sur le bitume.
  3. Règle n°3 “Trop de panneau tue le panneau“. Le Pérou est le pays de l’informel, y compris sur la route. Si une autoroute rétrécit d’une voie, vous êtes prévenus au moment où vous vous êtes emplafonnés le terre-plein. Si une voie est fermée, vous êtes prévenus devant la barrière de fermeture. S’il y a d’énormes trous dans la route, vous êtes prévenus une fois au fond. Sur la route, la seule personne sur qui l’on peut compter, c’est soi-même. Nous sommes tous des Indiana Jones.

Quelques règles annexes

Dans les règles annexes, il pourrait être écrit que toute chose ayant des roues est susceptible de se trouver sur la même (auto)route que vous, même plus vieux et en moins bon état que votre arrière-grand-mère.

Dans les règles annexes, il est écrit que la surface du pare-brise est un espace d’expression, et que cet espace d’expression est majoritairement dédié à l’amour de 3 entités : sa femme, ses enfants et Jésus.

Dans les règles annexes, il est écrit que tout est possible : traverser l’autoroute à pied, traverser le terre-plein central de l’autoroute pour faire demi-tour, s’arrêter sur l’autoroute même pas en warning, se garer sur l’autoroute, faire une marche arrière sur l’autoroute quand on s’est trompé de sortie (mais avec un clignotant, alors ça passe ?). Tous ces exemples, je les ai vus de mes propres yeux (souvent écarquillés), mais la liste est bien évidemment non exhaustive.

Pourquoi j’aime ça

Je suis arrivée à Lima en clamant que le trafic n’était pas si terrible, que j’arrivais de Paris où j’étais sans arrêt en voiture pour le travail et en permanence dans les bouchons. J’ai laissé bouche bée plusieurs liméniens en le leur disant, ils semblaient avoir du mal à le croire. Pourtant je le pense encore.

J’aime la route à Lima car je le vis comme un jeu vidéo : j’aime la vigilance permanente, les réflexes aiguisés, l’excitation du danger qui peut venir de n’importe où, ou de l’inattendu. J’aime voir débouler la moto tunée en vente de légumes ambulants s’arrêter au milieu de la route pour faire une vente de fraises (cf photo). J’aime me muscler les fesses sans m’en rendre compte, car je suis tendue en permanence pour ne pas faiblir. Faire l’économie d’une salle de sport assis au volant de sa voiture, quelle satisfaction !

Mon autre passion pour la route à Lima, c’est celle du Fight Club. J’aime l’intimidation, le duel, le bluff, j’aime palper ce rapport de force dans la vitre de nos rétroviseurs. J’aime montrer que j’en ai sous le capot avec mon style, c’est-à-dire prendre ma place dans la plus grande sérénité, sans jamais oublier la courtoisie et avec le sourire (ça ne marche pas à tous les coups, retrouvez-moi à faire de grands gestes et avoir des paroles déplacées de temps en temps).

Maintenant que vous avez les règles du Club, voulez-vous y entrer ?

À propos de l'auteur

Lauriane Brulebeaux

J’ai vécu toute ma vie dans 3 villes de France, pris l’avion pour la 1ère fois à 15 ans et fait mon 1er grand voyage à 20 ans. Je ne suis pas l’expatriée au long cours ! Je vivais à Paris dans une routine confortable quand mon amoureux m’a dit un soir où je coupais des poireaux : « et si on partait vivre à Lima ? » . Pas un mot d’espagnol en poche ni une idée de ce qu’est l’Amérique Latine, j’ai débarqué en 2016 dans cette ville incroyablement mystérieuse, contrastée, enthousiasmante, que j’adore et qui ne me laisse jamais indifférente.
Mon portfolio d'éditrice/rédactrice/photographe : laurianebrulebeaux.com

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