Chronique péruvienne
Courrier Expat

Droits des femmes au Pérou : état des lieux

droit des femmes
Retard de règles, solution immédiate Photo Lauriane Brulebeaux

Vendredi 8 mars a eu lieu la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. C’est l’occasion de vous raconter cette journée au Pérou et où en est la lutte pour les droits des femmes dans le pays, avec un fort parti-pris, le mien, celui d’une femme qui a envie que ces droits progressent.

La journée de …

Au Pérou, le concept de célébration est très puissant. Pourquoi ? Parce que la notion de communauté est importante, ainsi que les notions de gratitude et de bénédiction (dans le sens souhait à autrui). Or c’est un prérequis d’avoir des choses à célébrer pour pouvoir se réunir et s’en féliciter. Qu’à cela ne tienne, mis bout à bout on peut quasiment réussir à trouver une célébration pour chaque jour du calendrier au Pérou :

  • il y a les célébrations universelles type fêtes des mères/pères, Saint Valentin, anniversaires, etc, dont la portée dépasse largement le cadre personnel et familial. Ainsi n’importe quelle maîtresse d’école se voit souhaiter son anniversaire par les parents de ses élèves ;
  • A cela s’ajoute toute une série de « journée de … », dont le Pérou raffole : la journée du pisco, la journée de l’architecte, la journée de la canción criolla (chanson traditionnelle), la journée de la secrétaire (vous avez bien lu). Et la journée de la femme. Cette journée de la femme n’a rien d’une journée internationale pour les droits des femmes. C’est une journée de célébration au même titre que les autres « journée de …».

Pour ce qui est du déroulé de la journée, et en cela rien ne diffère de la France, en tant que femme vous verrez des publicités pour du maquillage et des aspirateurs, vous recevrez des roses dans la rue, des GIF animés sur vos groupes whatsapp et des feliz día avec une bise de la part de vos collègues.

Le droit des femmes au Pérou

Pour revenir au sujet central de cette journée internationale des droits des femmes, à savoir la commémoration et non la consommation (dyslexie sociétale!), je vous propose un état des lieux du droit des femmes au Pérou sur les trois points suivants : IVG, violences faites aux femmes, sexualité.

L’IVG est illégale au Pérou et fortement sanctionnée pour les médecins qui la pratiquent (hors exceptions thérapeutiques floues). Si tu es adolescente au Pérou (entre 13 et 18 ans), tu as entre une et deux chances sur dix de tomber enceinte (chiffres de l’INEI). Chaque jour je vois des jeunes filles dont l’enfant dort sur l’épaule, chaque jour je vois passer des dépêches de mineures violées puis décédées d’avoir dû accoucher trop jeunes, chaque jour je vois dans la rue des annonces de « faiseurs d’ange » (photo en une) et je peine à en imaginer le prix, les conditions d’hygiène et les conséquences psychologiques. Et comme j’ai appris la célébration et la gratitude au Pérou, chaque jour je remercie Simone et toutes les autres pour la lutte, l’aboutissement de la lutte sur l’IVG, et la poursuite de la lutte sur tous les autres sujets. Chaque jour je me sens chanceuse d’être née en France et d’avoir hérité de droits et libertés grâce à elles.

En termes de violences faites aux femmes au Pérou, le constat est tragique : 582 féminicides ont été recensés ces cinq dernières années, 28 depuis le 1er janvier 2019. Les violences ne cessent d’augmenter.

Pour le seul mois de janvier 2019 (chiffres du MIMP) ont été recensés :

  • 4 994 cas de violences psychologiques
  • 4 063 cas de violences physiques
  • 800 cas de violences sexuelles.

Et je reporte « seulement » les cas comptabilisés dans les statistiques officielles, estimés à 30%. On ne parle pas de toutes celles qui ne peuvent pas, qui n’osent pas, par peur de représailles ou de rejet.

Pourquoi ce n’est pas prêt de s’arranger ? Parce que la majorité de ces violences sont domestiques et parce qu’on continue d’accuser la femme d’être responsable de la violence à son encontre. 44% des personnes interrogées pensent qu’une femme est coupable si elle se fait violer en étant allée seule à une fête (enquête nationale parue dans El Comercio ce 8 mars 2019).

En termes de sexualité, j’ai parlé avec nombre de médecins et spécialistes de mes parties génitales (pour avoir vécu une grossesse au Pérou) et j’en ai étonné plus d’un de m’être renseignée précisément sur mon anatomie et d’oser en parler ouvertement avec eux et en présence du père de notre enfant. Les tabous sont légions.

J’ai rencontré bon nombre d’associations sur le sujet des femmes et de la sexualité au Pérou : on est loin de la reconnaissance du clitoris dans les manuels scolaires, si je dois résumer la situation. Le consentement, la connaissance du corps féminin et l’épanouissement sexuel sont des concepts totalement inexistants et à des années-lumière de la réalité du terrain. Par exemple, il n’existe qu’un seul sex-shop à Lima qui ne soit ni glauque ni vulgaire et propose des conférences sur les menstruations, le genre et la diversité, etc., et il a ouvert l’an dernier. On parle d’une ville de 10 millions d’habitants, la taille de l’Ile-de-France.

Il faut d’abord pallier les urgences et l’urgence absolue est d’éviter les grossesses non désirées. On rejoint le sujet de la contraception et celui de l’IVG, qui pourtant ne peut être abordé indépendamment de l’accompagnement de la sexualité des femmes et des hommes : sachant que l’abstinence n’est pas une solution acceptable, que le préservatif n’en est pas toujours une satisfaisante (c’est cher, et parfois inadapté, ex. dans la forêt amazonienne où il fait 40 °C et humide) et que pour poser des stérilets il faut avoir des professionnels compétents et en accord avec ce principe, en plus du coût.

Où en est la lutte

Pour la journée du 8 mars, voici deux exemples de l’état des lieux :

  • La session plénière du Congrès consacrée aux droits des femmes a commencé face à un hémicycle quasiment vide ;
  • Une manifestation civile pour les droits des femmes a été organisée au Pérou, à Lima. Il y a eu un seul article de presse la mentionnant. Tous les collectifs féministes du Pérou (Ni una menos, Centro de la mujer peruana Flora Tristan, Movimiento Manuela Ramos, Promsex) l’ont postée sur leur page Facebook. Voilà le résultat : 1300 participants, 2300 intéressés au matin du 8 mars. Je ne me risque pas à vous proposer un pourcentage de la population liménienne, il y aurait trop de 0.

Voilà où en est la lutte. Je suis une personne du genre « verre à moitié plein », mais j’avoue que sur le sujet du droit des femmes au Pérou, je ne sais pas où regarder pour voir le rai de lumière au bout du tunnel.

À propos de l'auteur

Lauriane Brulebeaux

J’ai vécu toute ma vie dans 3 villes de France, pris l’avion pour la 1ère fois à 15 ans et fait mon 1er grand voyage à 20 ans. Je ne suis pas l’expatriée au long cours ! Je vivais à Paris dans une routine confortable quand mon amoureux m’a dit un soir où je coupais des poireaux : « et si on partait vivre à Lima ? » . Pas un mot d’espagnol en poche ni une idée de ce qu’est l’Amérique Latine, j’ai débarqué en 2016 dans cette ville incroyablement mystérieuse, contrastée, enthousiasmante, que j’adore et qui ne me laisse jamais indifférente.
Mon portfolio d'éditrice/rédactrice/photographe : laurianebrulebeaux.com

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